Pune, où vit Vandana

Par Claire, 12 août, 2023

Vandana Chawandke et Claire Arthus-Champon (mars 2018)


LA VILLE de PUNE, où vit Vandana
Son " Karmabhumi "

 

Si Pune est synonyme de RIMYI (Ramamani Iyengar Memorial Yoga Institute) pour les personnes pratiquant le yoga selon l’enseignement de BKS Iyengar, plus de 3 millions de personnes vivent dans cette ville à 120 kilomètres de Bombay pour bien d’autres raisons. Lors de mon premier séjour en 2014, et tout à fait en dehors de l’Institut, eut lieu une belle rencontre : nous choisissions nos légumes au marché,  quand une indienne nous a conseillées... en français !
Vandana, Installée à Pune depuis une vingtaine d’années, y apprenait notre langue pour ensuite l’enseigner. Une amitié est née, qui se poursuit par des échanges réguliers par mail bien sûr, mais aussi lors d'un voyage d'étude pour Vandana en France en 2016 et d'un nouveau stage à l'Institut en 2017 de mon côté, voilà ce qui m’a naturellement incitée à lui demander de nous parler de SA ville de PUNE.

 

                     

 

Dans le texte sacré de la Bhagavad Gita, le Seigneur Krishna dit que la vie humaine doit avoir quatre objectifs :


Dharma (1) est le devoir naturel assigné par le sexe, le lieu et la famille dans laquelle on est né. Par exemple, si on est femme de quelqu’un, il faut réaliser tout le travail lié à cette responsabilité. De même, si on est mari, il faut assumer tout le travail attaché à cette responsabilité.Artha est le devoir de gagner sa vie honnêtement. Kama est celui de satisfaire ses désirs matériels, tout en restant dans le cadre du devoir.
Et Moksha, l’Eveil, c’est le but final, obtenir le bonheur absolu si et seulement si les trois premiers objectifs sont atteints.
On peut y ajouter la notion de Karmabhumi, le lieu où l’on travaille honnêtement et dans le respect du dharma, pour réaliser ses désirs et enfin atteindre le but final.
Karma est généralement traduit par « action, activité » et Bhumi c’est « la terre, le pays, le lieu ».

Et Pune, c’est mon Karmabhumi, le lieu où j'agis, je travaille et j’ai une vie de famille. Je le respecte, je l’aime et j’y resterai jusqu’à mon dernier souffle en essayant d’achever mon but de la vie.

D’abord il faut souligner qu’on appelle cette ville l’Oxford de L’Est. Et c’est vrai parce que cette ville donne tant d’opportunités à une personne qui désire vivement une bonne formation dans presque tous les domaines. On peut y apprendre aussi bien la musique classique indienne que l’informatique, le management ou les langues étrangères et cette liste est sans fin. Ce lieu est plein d’étudiants arrivant de différents coins de l’Inde et il y a aussi des étrangers venant d’Afrique et du Moyen-Orient qui s’y installent pour suivre de bonnes études. Les étudiants indiens sont quand même plus nombreux que les étrangers.

 

Effectivement, quand on circule dans la ville, le nombre d’écoles et universités est impressionnant dans tous les domaines, aussi bien scientifiques qu’agricoles ou dans le domaine des langues et des arts. Nous sommes d’ailleurs passées ensemble devant l’école  indienne qui forme aux métiers du cinéma et de la télévision.

 

Cette ville était la capitale des Peshwas, les premiers ministres de la lignée des rois Bhosla (18°-19° siècles). C’est le roi Shiwaji qui a nommé le premier Peshwa Balaji Vishvanath. Ces Peshwas étaient des guerriers et ils ont combattu d’abord les Moghols puis les Anglais. Donc cette ville ancienne porte tous les signes d’une ville historique. On doit visiter Shaniwarwada, la maison des Peshwas toute en bois et  qui a été brulée par les Anglais, dont il ne reste que le rempart et les portes ainsi que les ruines du palais. Un spectacle son et lumière y est régulèrement proposé (en marathi et en anglais) pour connaître l’histoire de Pune.  

 

                               

 

C’est une ville qui ne cesse de grandir depuis des années, c’est pourquoi elle n’est pas assez organisée. Le centre-ville a des rues très étroites et tortueuses et on peut facilement se perdre si on ne connait pas la ville. Les endroits touristiques sont les deux musées, l’un s’appelle le musée de Raja Dinkar Kelkar et l’autre se situe près des temples de la colline de Parvati.

 

Oui je trouve que ces deux musées sont très intéressants, le premier abrite une belle collection d’objets de la vie quotidienne : lampes, vêtements, jouets, ustensiles de cuisine, bijoux, instruments de musiques, etc. J’aime beaucoup la colline sur lequel est situé le second : une atmosphère si calme avec ces temples dédiés à Parvati, à quelques minutes seulement de l’agitation de la ville.

 

 

                                  

 

 

Il y a un palais d’Aga Khan où Mahatma Gandhi a séjourné quelques semaines, retenu par les Anglais.

 

C’est aussi un lieu que j’ai apprécié, en particulier pour son grand parc, de l’autre côté de la rivière Mula qui traverse Pune, et une ambiance plutôt recueillie de la part des visiteurs dans cet ancien palais où est retracé le parcours du Mahatma Gandhi. Dans un petit jardin, se trouvent les tombeaux de Kasturba, son épouse et de son secrétaire morts tous les deux pendant leur réclusion.

 

 

 

 

Les marchés du centre-ville comme Tulshibague et Mandai (le marché principal des légumes) et la rue de Laxmi sont toujours très peuplés.

 

 

 

Il faut visiter le fort de Sinhagadh qui est 25 km au sud de la ville. De là on peut voir le magnifique paysage des Sahyadris, la chaine des montagnes.

 

                

 

Quelle chance nous avons eue, Vandana, de faire cette excursion avec toi pour bénéficier non seulement de tout ce que tu sais sur légende attachée à ce lieu, mais aussi goûter les délicieux yogourts et kulfis  que les villageois montent vendre aux visiteurs.

 

 

 

Cette ville est connue pour ses deux principales fêtes : le festival de Ganesha et le Sawai gandharva bhimsen mahotsav, grand festival de musique classique indienne. Le festival de Ganesha se passe en Septembre et dure presque dix jours. Il y a partout des idoles du dieu Ganesha et chacune a son propre groupe qui organise de beaux spectacles à voir absolument. Pourtant pendant cette fête le niveau de la pollution sonore est très élevé.

 

  
"Lord Ganapati est venu chez moi pour un court séjour de dix jours. On se sent qu'il y a vraiment un invité très précieux chez nous… et les modaks qu’il aime manger !"

 

C’est pourquoi on a la deuxième fête qui soulage nos oreilles ! C’est le grand festival de musique classique indienne qui a toujours lieu en décembre pendant l’hiver. Il faut absolument assister à ce concert où les artistes célèbres viennent pour présenter leur art musical.

 

 

 

À Pune on parle le Marathi et on dit que le Marathi de Pune est celui qui a un accent standard. La littérature marathi est très classique, vaste et c’est la ville où sont nés ses meilleurs écrivains : romanciers, dramaturges, poètes, lyriques et des philosophes. On peut dire que c’est la capitale culturelle du Maharashtra, Mumbai étant sa capitale politique.

Les personnalités très connues de cet état, et dont nous sommes fiers, sont Bal Gangadhar Tilak,  Savitribai Phule, Jnanéshwar et Tukārām.

 
Bal Gangadhar Tilak (1856-1920) était un politicien révolutionnaire qui militait pour l’indépendance de l’Inde, donc contre les Anglais avant le lever de Mahatma Gandhi ; il est aussi un écrivain connu pour ses pensées dures contre les atrocités des Anglais. Son énoncé « L’indépendance est mon droit depuis ma naissance et je l’obtiendrai sans doute ! », est appris par chaque élève du Maharashtra.

 


Savitribai Phule (1831-1897) a joué un rôle important dans l’amélioration des droits des femmes en Inde pendant la domination britannique. Elle a œuvré pour l’éducation des femmes en fondant la première école pour filles, dirigée par des indiens, à Pune.

 


Jnanéshwar (13° siècle) et Tukārām (17° siècle) sont considérés comme des Saints dont les œuvres poétiques sont des symboles riches de la spiritualité védantine et cette liste est interminable.

 

 

En France, certains connaissent « les psaumes du pèlerin » de Tukārām, une traduction du texte marathi par Guy Deleury (1956), sur laquelle tu as travaillé de façon approfondie pour ton mémoire de Master en Français à l’Université Savitribai Phule de Pune, en montrant comme il est difficile pour le traducteur (fidèle du christianisme et même missionnaire) de faire comprendre le vrai sens des pensées de l’auteur, proche de la philosophie de la non-dualité. Tu as donc noté un certain nombre d’imperfections qui marquent les problèmes de traduction mais aussi ceux du traducteur.

 

 

 

Pourtant aujourd’hui Pune montre quelques signes de mécontentement. Jour après jour la pollution augmente. J’ai peur qu’un jour on ne soit en compétition avec la ville de Delhi qui a déjà dépassé la limite de pollution.

Deuxièmement, puisque les rues sont étroites et les voitures innombrables, et la population augmentant, la circulation est horrible. Pour les piétons, traverser les rues est un défi. Le bus qui pourrait être un bon moyen de transport public est  pour l’instant un échec. On doit prendre un rickshaw ou un taxi (ce que font de plus en plus de personnes avec la nouvelle arrivée d’Uber et Ola) et ceux-ci ajoutent leur contribution au niveau de la pollution et des embouteillages.
Bien qu’il y ait des points négatifs, cette ville reste encore un lieu où les femmes sont en sécurité, quand-même il faut rester vigilant!

 

                                         

 

Effectivement, nous avons du mal à supporter cette circulation et la pollution qu’elle génère, que ce soit dans nos séances de pranayama au RIMYI, dans les déplacements à pied ou en rickshaw. Gaz d’échappement des rickshaws, voitures et innombrables 2 roues, bruits des moteurs et klaxons sont vraiment agressifs. En février 2017, nous avons d’ailleurs assisté à une manifestation en faveur des déplacements à vélo pour limiter cette pollution. S’il y a une prise de conscience écologique certaine, avec ce type d’initiative ou le compostage individuel des déchets comme le fait ta voisine Kasturi sur la terrasse de  votre immeuble, les pouvoirs publics ont encore du travail en particulier en matière d’éducation.
En logeant près du RIMYI, nous avons la chance de bénéficier d’un beau jardin public dans lequel beaucoup d’habitants viennent chercher le calme, promener les jeunes enfants ou faire de l’exercice physique.

 

 

 

En Sanskrit il y a une citation qui dit :
« la mère et la terre, les deux femmes responsables de notre naissance, sont meilleures que le paradis ». Je garde toujours ce sentiment pour cette ville de Pune.

 

Merci Vandana d’avoir pris le temps de nous parler ainsi de la ville de Pune, en français, et j’ai une dernière question : après une licence en science et un master en anglais, puis une licence en éducation ainsi qu’en musique classique indienne, tu as d’abord enseigné l’anglais au lycée avant de choisir l’étude du français il y a une dizaine d’années pour passer un master qui te permet maintenant d’enseigner cette langue. Bravo déjà pour ce parcours, et peux-tu nous dire ce qui t’a poussée vers l’étude du français ?

 

D’abord, je peux dire que c’est le destin qui m’a poussée de l’étudier. J’avais quarante ans et j’étais stressée. Je voulais m’engager dans une chose qui m’éloignerait du stress. Il y a un Institut des langues étrangères près de chez mo et un jour, quelque chose m’a poussée à y aller. Devant le guichet, on m’a demandé la langue à étudier... et je n’avais pas réfléchi à cela. Après une longue pause, on m’a dit qu’il y avait une place dans la classe de français et je l’ai acceptée.  Voilà, ainsi j’ai pris le vol de la langue française et mon voyage a commencé. J’ai doucement atterri sur ce terrain très plaisant et la langue m’a prise dans ses bras.

 

 


2016, voyage d'étude en France

 

Tangka-guide-voyage-inde-maharashtra-pune

Pune-tourisme : réservation visites

Sur le Dharma (1) un terme sanskrit qui est impossible à rendre par un seul mot français, voici une proposition de Gisèle Siguier-Sauné (Revue Française de Yoga, n° 57 / janvier 2018) :
"Emile Sénard, dans sa traduction de la Bhagavad Gita, en donne différentes versions selon le contexte où il s'insère : "sacré", "devoir", "loi", "enseignement", "ordre", "doctrine", "bien", "règle", "pratique". Le sens vers lequel nous oriente l'étymologie (racine verbale DHAR : tenir, maintenir, contenir) est celui d'une force de cohésion qui permet aux différents éléments de l'univers vivant de se maintenir ensemble et dans leur juste rapport. De cela, l'homme est partie prenante : ce qu'il fait, comment il s'organise et se comporte en société et vis-à-vis de totues les créatures, n'est pas sans conséquence sur le maintien de l'harmonie universelle. Aussi le Dharma définit-il un ensemble de règles, de pratiques, de comportements et de devoirs propres à chaque classe d'êtres."
 

 

 

 

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