Yoga en prison

Par Claire, 12 août, 2023

Claire Arthus-Champon, juin 2017


YOGA en PRISON

Carnet de voyage à la Maison-d'Arrêt de Grenoble-Varces

 

12 ans de pratique du Yoga ont fait émerger un jour, presque brutalement, en tout cas comme une évidence, la nécessité de partager ce qui m’a été transmis par les enseignants rencontrés sur ce chemin. 12 ans d’enseignement, et de pratique bien sûr, ouvrant de nouveaux espaces intérieurs, m’ont conduite à la certitude que nous, professeurs de yoga, avions quelque chose à apporter à des personnes pour lesquelles l’espace est un manque…


On dit parfois "quand l’élève est prêt, l’enseignant se présente sur son chemin", c’est ainsi qu’André Weil, secrétaire de l’Union des Enseignants de Yoga de l'Isère, a pris contact avec moi un beau jour d’automne 2015 par quelques lignes évoquant les qualités pédagogiques du site internet de notre association Shanti. Le monde du yoga grenoblois n’étant pas immense, je savais qu’il intervenait depuis quelques années à la Maison d'Arrêt de Grenoble-Varces : les choses étaient mûres pour un premier contact téléphonique puis une rencontre avec d’autres enseignants de yoga dont certains venaient aussi dans cette prison depuis quelques années soit en Unité de soins psychiatriques, soit en Accueil des nouveaux arrivants. Après quelques démarches administratives et une attente de 2 mois, arrive en février 2016 un message d’Yves, le "pilier CHU-Grenoble" en charge du programme de prévention et promotion de la santé à la MA de Varces "L'autorisation d'accès en détention au nom de votre collègue, Mme Arthus, est en place depuis... aujourd'hui !" Comme un sésame pour entrer dans le module intitulé "Relaxation en détention" mis en place il y a une dizaine d’années et dont la dénomination évitait le terme "yoga" encore souvent chargé d’une connotation religieuse, voire sectaire, risquant de freiner certaines personnes dans leur élan vers cette découverte.
 
Jusque-là, Varces est à mes yeux un grand mur surmonté de barbelés en face d’une caserne abritant un Bataillon de Chasseurs Alpins, une route entre les deux, un endroit où l’on ne s’attarde pas mais où l’on passe pour aller randonner dans le Vercors. Quant à l’intérieur d’une prison, cela reste un lieu imaginaire… entrevu dans certains reportages ou lectures. Rendez-vous est donc pris avec André Weill pour assister à une séance et voir si réellement je me sens capable de venir enseigner yoga et relaxation de temps à autre afin de le soulager du rythme hebdomadaire dans lequel il est engagé ici depuis 8 ans. Finalement, la première approche sera plutôt administrative en mars 2016, pour un collectif d’intervenants extérieurs,  sur une proposition de la directrice de la MA de Varces : "un temps de formation sur l'administration pénitentiaire et la procédure pénale […] aura lieu à la maison d'arrêt de Varces, le 10 mars prochain […]. Si vous êtes, ou vos collègues qui interviennent également à Varces (avec une autorisation d'accès valide) intéressés par cette rencontre, n'hésitez pas à nous le faire savoir, avec éventuellement les questions que vous vous posez."


André et moi y allons ensemble, je découvre ainsi sous son aile bienveillante la procédure d’ouverture des différents sas permettant l’accès à l’établissement, en tout cas dans sa partie administrative cette fois-ci. J’y apprendrai un certain nombre de choses bien sûr à propos du fonctionnement de ces "lieux de privation de liberté", et je relis encore de temps à autre le code de déontologie du service public pénitentiaire qui nous est remis, tandis que je ne retiendrai que quelques-uns des très nombreux acronymes de la liste fournie, pourtant souvent entendus depuis : SPIP, SMPR, JAP, QA, QD, RPS, il y en a un qui me plaît bien, le GENEPI, un peu plus champêtre…
J’entends l’importante notion de hiérarchie avec les nombreux grades de surveillant, les différentes modalités de privation de liberté et comprends surtout que nous sommes dans une Maison d’Arrêt, un lieu dans lequel sont détenus des "Prévenus", donc des personnes (ici des hommes uniquement) qui n’ont pas encore été jugées ou dont la condamnation n’est pas définitive et des personnes condamnées à des peines inférieures à 2 ans (dans les faits, certains sont condamnés à une plus longue peine ou ayant fait appel, sont en attente d’une place dans un centre de détention).

 

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Avril 2016, passage des sas de sécurité avec André du côté détention pour atteindre le 4° étage, où nous accueille Yves avec la liste des inscrits. Présentation au surveillant d’étage qui nous ouvre la salle dans laquelle chacun arrive quand il a eu la possibilité de quitter sa cellule, de changer d’étage le cas échéant. Nous saluons ces 12 personnes au fil de leur arrivée, et j’observe que la mise en route de la séance peut ainsi prendre du temps. André mène la pratique avec sérénité, finesse et fermeté, malgré les temps de dispersion dans le groupe, les éclats de voix et autres bruits du Quartier Disciplinaire situé juste sous la salle d’activité… Les portes métalliques qui claquent, les personnes frappant rudement aux portes, les voix fortes, le bruit est un des éléments qui m’a frappée, auquel je ne m’attendais pas et qui doit être comme une agression permanente quand on est ici 24h sur 24 pour des semaines ou des mois, des années, quand on y travaille aussi bien sûr. La vétusté des lieux également, pour cet établissement qui date des années 70, et en tout cas dans la salle qui nous est octroyée pour ce temps de yoga…
Après avoir accompagné André, je regarde d’un autre œil le reportage effectué il y a quelques années dans Prison de Tihar (New Delhi, Inde) où un programme de yoga et méditation Vipassana avait été mis en place. Même si les conditions de détention n’ont rien à voir, la privation de liberté avec toutes ses conséquences est là en Inde comme en France et les outils du yoga et de la méditation peuvent toucher tous les humains, quelle que soit leur origine.

 


Je vis un moment très fort quelques jours plus tard à ski de randonnée : après la descente de la Ciamarella du côté des glaciers de la Haute Maurienne, et en attendant les amis qui avaient encore l'énergie de remonter à l'Albaron, j'ai eu cette chance d'un silence total pour quelques heures au sein de cette blancheur immense, comme "seule au monde"... dans un contraste saisissant avec ces hommes en détention qui n’ont ni espace, ni silence, ni intimité... comment se reconstruire dans ces conditions-là ? Je ne le sais, mais tout ce qui peut y contribuer doit être encouragé.

 


Monde gris pour les uns, ciel bleu pour les autres.

 

 

 

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La semaine suivante, je viens donc animer la séance en entrant pour la première fois seule ou presque puisqu’Yves a la délicatesse de venir me cueillir au poste de garde de l’accueil après les premières portes avec contrôle type aéroport (pas de téléphone portable par exemple). Encore des passages de sas, récupération de l’API, un joli nom je trouve, jusqu’à ce que le surveillant me tende un objet à accrocher à la ceinture, bref une alarme portative individuelle. Présentation à toutes les personnes rencontrées dans les couloirs, d’autres portes dont l’ouverture est toujours déclenchée par un surveillant bien sûr, escaliers jusqu’au 4° étage, quelques portes encore… 9 en tout depuis l’entrée et nous y sommes !
Les inscrits pour la séance arrivent au compte-goutte car venant des différents étages de l’établissement et tout déplacement se fait sous surveillance bien sûr. Tous n’arrivent d’ailleurs pas jusqu’à la salle, qu’ils aient ce jour-là une convocation, un parloir ou une consultation, qu’ils ne se sentent pas bien, que le surveillant ne leur ait pas ouvert la cellule à temps… pour de multiples raisons qui vont de l’impossibilité matérielle à la brimade.

Une fois sur nos tapis j’oublie totalement le contexte et la séance se déroule… comme une séance de yoga tout simplement. Parmi les 12 hommes présents, certains sont là pour la première fois, d’autres ont l’habitude de pratiquer avec André dans la lignée de TKV Desikachar. Ils découvrent ce jour-là une approche autre, selon la méthode développée par BKS Iyengar . TKV Desikachar et BKS Iyengar ont tous deux eu pour maître le grand yogi qu’était T. Krishnamacharya : l’un était son fils et l’autre son beau-frère et, quel que soit le chemin, il s’agit toujours de yoga. Il faut juste s’adapter à un groupe aussi divers et dont les motivations à venir sur le tapis sont très variées.

 

 

 


En effet, il peut s’agir d’une simple curiosité pour ce qui est présenté comme un temps de relaxation ou d’un réel besoin de se détendre dans cet environnement particulièrement stressant, mais surtout d’une occasion de bouger son corps en sortant de la cellule : 22h sur 24 dans 9 m2, souvent à 2 dans cet espace, ne laissent que peu de place au mouvement… Il y a bien sûr la possibilité de rencontrer une personne extérieure à cet environnement ainsi que d’autres détenus pour discuter. Certains espèrent aussi que cela fait partie des motifs permettant d’obtenir une RPS, une réduction de peine supplémentaire, qui peut être accordée à "ceux qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, qui participent à des activités culturelles, qui s’efforcent d’indemniser leurs victimes […]". En pratique, il n’y a pas de lien direct et obligatoire de cause à effet entre la venue aux séances et une RPS, c’est le juge d’application des peines qui prend la décision en étudiant tout un faisceau d’arguments.
"Dehors" aussi les raisons de pratiquer le yoga sont multiples et il n’y a aucun jugement à porter là-dessus ; je sais aussi comme ces motivations peuvent évoluer au fil des semaines et des mois, s’élargir au gré de la découverte quand on a la chance de suivre ce chemin dans la durée. Je me suis sentie à ma place d'enseignante de yoga, avec des personnes qui vivent certes quelque chose de très différent de nos quotidiens, mais qui ont le même besoin de (re)trouver un accès à leur corps, leurs sensations, leur être tout entier.


Merci d'avoir été là, Yves, c'était important pour eux je pense de faire ainsi le lien avec une nouvelle personne dans leur environnement et, même si je ne me sentais pas dans une situation de risque, cela m'a certainement sécurisée pour guider librement l’heure et demie de pratique. Je dois dire qu'en quittant ce monde gris, j'ai eu besoin de prendre le temps de marcher, à l'air libre sous le bleu du ciel et seule... comme une transition avant d’aller pleinement dans le monde. Le temps de prendre une décision avant de confirmer : "oui je me sens capable à la rentrée de donner un peu de temps pour une séance mensuelle", qui permettra à André de souffler un peu dans la continuité qu’il assure ici depuis longtemps.

 

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L’été se passe loin de ces murs bien sûr pour moi et début septembre, avant d'intervenir plus régulièrement en solo, je reviens une fois à la prison en duo avec André. Nous avons la chance d’un groupe de 13 personnes assez centrées, permettant un travail postural tout en profondeur, suivi d’un pranayama de nettoyage (kapalabhati) et d’une assise en silence. Un carnet traîne dans ma voiture, je commence à noter mes impressions à la sortie, comme un dernier sas :

 


Grand ciel bleu, un avion glisse dans ce ciel au-dessus des barbelés de la clôture… liberté de mouvements des uns, enfermement des autres.

 

 
A la veille de ma venue la semaine suivante, arrive ce délicat message "pleine présence avec toi pour demain" : merci à toi, André, rien n’est anodin dans nos passages là-bas, nous sommes témoins de situations, de corps en souffrance, et cette connivence entre intervenants est importante. 14 personnes  arrivent jusqu’à la salle, dont l’infirmier David, lui-même pratiquant de yoga avec qui je fais connaissance et qui participe à la séance en même temps qu’Yves. Nous pratiquons essentiellement des postures debout, exigeantes physiquement et en qualité d’attention pour ces hommes qui passent beaucoup de temps assis voire allongés. C’est un jour très calme dans la prison, presque pas de "bruit" … est-ce cela qui a rendu les personnes si réceptives, si silencieuses en fin de séance ?

Je fais un tour de groupe, en demandant à chacun, s’il le souhaite, de qualifier d’un mot son état intérieur : tellement détendu après l’intensité pour l’un / il faut de la concentration pour suivre et en même temps le cerveau se repose pour Christophe. Quand je sors d’ici, c'est encore un  besoin impérieux de ciel qui me vient : quelques minutes, assise dans la voiture face à l'entrée, le regard file naturellement au-dessus des murs et barbelés :

 


Temps lourd, des nuages effilochés traversent le ciel bleu immense, un avion laisse sa traînée blanche, une antenne brille au soleil sur les crêtes du  Vercors.

 


Comme le dit si justement Yves, "c'est aussi ce qui manque lorsqu'on passe du temps coincé en cellule : le ciel. Et ce n'est pas rien !" Une perte totale aussi de lien à la nature, à la terre, dans ce monde de métal, béton et goudron. Il faut sûrement beaucoup de richesse intérieure, les visites des proches et une bonne dose d'imaginaire pour garder un lien avec tout ce qui nous fait Humain. Si les couloirs et escaliers sont propres, il faut s’accommoder d’un sol beaucoup moins net dans cette salle qui a bien d’autres utilisations. Mais je suis surtout frappée par l’état des tapis sur lesquels nous pratiquons, certains sont déchirés, d’autres beaucoup trop petits pour pouvoir s’allonger complètement dessus… je dis à André mon souhait de tapis plus adaptés, peut-être l’UEYI pourra-t-elle dégager un budget à cet effet ? Les détenus vivent déjà l'espace d'une façon si restreinte qu'il me paraît important qu'ils puissent avoir un territoire suffisamment respectueux d’eux-mêmes dans cette pratique qui invite à la découverte de l'espace à l'intérieur de leur corps.

 

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Octobre 2016 : 6 hommes seulement… il n’y a pas eu yoga depuis 2 semaines et Yves a dû partir avant le début du cours. C’est aussi une bonne dimension de groupe peut-être, pour que chacun s’implique vraiment tout en ayant déjà une dynamique collective. Malgré la fraîcheur de la salle, pas encore chauffée, ils choisissent d’ouvrir les "fenêtres" (qui ne sont que des claustra), pour laisser entrer le peu de lumière et chaleur du soleil d’automne et, sur proposition de ma part, d’enlever les chaussettes pour mieux prendre conscience des points d’appui à équilibrer et percevoir l’enracinement des pieds. Nous sommes prêts pour travailler des équilibres debout, comme vṛkṣasana l'arbre, qui réchauffent par l’intensité physique et la qualité d’attention requise.


 

Légèreté pour Ahmed / détente pour un autre / j’ai tout lâché avec les pauses en fin d’expiration…  sont leurs mots de la fin ce mercredi. Presque tous ont été plus à l’aise avec des pauses en fin d’expiration plutôt que d’inspiration dans le dernier exercice : besoin de vide dans leur corps ? Dans leur tête, leur être ? Cela leur appartient pleinement, pour ma part c’est une sensation d’un partage du souffle, du vide, qui m’est venue.

 


Couleurs froides de la coursive, les détenus en formation plâtrier-peintre sont en train de les rafraîchir. Des filaments de brumes accrochent le Vercors.

 

 

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Ce matin de novembre, 9 personnes sont rapidement là, 2 n’arrivent que tardivement… pas toujours facile de prendre le train en marche, mais je sais la difficulté du parcours pour rejoindre la séance, donc pas question de fermer cette porte qui s’ouvre pour 2 heures hors de leur cellule. Fraîcheur encore dans la salle mais le sol est plus propre ce jour, et Yves me donne un petit objet chargé de symboles ici : "ma" clef du placard où sont rangés les tapis (ainsi que les objets du culte) après quelques semaines de démarches administratives pour obtenir ce double. L’état des portes, un peu tordues, l’état des tapis… sont à l’image du lieu.
Loin des images que l'on peut voir sur internet ou dans des films, souvent issues des prisons américaines, montrant des hommes très baraqués et semblant en pleine santé, je vois plutôt ici un accablement physique et mental avec beaucoup de repli et raideurs dans les corps, de la colère et de la frustration bien sûr mais aussi de l'abattement. Nous commençons par des postures debout qui les feront se déployer dans toutes les directions de l'espace : "ça tire derrière les jambes ? c'est normal quand on n'a pas l'habitude, mais où ? précisez,  ressentez ... ça tire dans le dos ? soyez prudents, fléchissez un peu les jambes... essayez, explorez..." Nous finissons par des étirements vers l'avant, des postures dans lesquelles le corps est plus compact, puis un temps de relaxation guidée en śavasana, les mains sur le ventre pour rester en contact avec la respiration et observer comme elle se stabilise et s'allonge au fur et à mesur que le corps se relâche, que le mental se pose.
Léger / détendu / prêt pour la sieste / tellement ailleurs que j'ai oublié ma cellule... sont les mots confiés par certains dans notre temps d’échange en fin de séance. Ce qui nous mène aussi à une discussion sur le cerveau postérieur, qualifié de méditatif, et son lien très fort avec les yeux, d’où l’importance du regard comme ils l’ont vécu dans les équilibres debout et comment on peut orienter la qualité de son regard selon qu’il est centré vers l’avant, qu’il part des coins externes des yeux ou même de l’arrière de la tête pour aller au-delà des murs ou du plafond.

 


Feuilles dorées des peupliers, éclats de lumière, soleil rasant la colline en arrivant. Liberté de mon regard vers le ciel bleu et la  neige lumineuse sur les pentes du Vercors, un ballon échoué dans les barbelés sous le mirador avant de partir.

 

 

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Salutations au soleil et pranayama pour le solstice d’hiver, quelques détenus qui ne font pas habituellement partie du groupe sont invités à venir découvrir notre pratique de yoga. Pour eux ce jour-là, le silence est difficile dans l’espace du cours et par un effet boule de neige,… je vis avec eux un moment assez dispersé, puis rassemblé. La perspective des fêtes de Noël loin des siens ne doit pas être facile… Pour moi aussi, c'était un peu étrange de venir aujourd'hui comme une parenthèse dans l'atmosphère de retrouvailles familiales à venir. Il est bien possible que cela ait contribué à cette sensation de dispersion pendant la séance, bien sûr les paroles des uns et des autres allaient aussi dans ce sens, mais pas que ... un peu comme si je n'étais pas "complètement là" parce que j'étais "attendue ailleurs" ! D’après Yves, je n’en ai rien laissé paraître, car il me dit avoir plutôt remarqué "à travers ce brouhaha d'aise, à la limite peut-être du bruit parasite, c'est selon, cette marque d'une énergie joyeuse qui emplissait la salle où vous faisiez votre cours."

 


Ciel plombé, grands chardons dans les barbelés… nature à l’unisson du lieu... des papiers de papillotes dans la poubelle, croisement avec les familles qui apportent les colis.

 

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La première séance de cette nouvelle année commence dans un climat d’agitation au 4° : Yves parti dans les étages pour essayer de "récupérer" les personnes inscrites mais en attente de sortir de leur cellule et puis ces hommes, toujours si respectueux avec moi, qui se collent tout à coup aux parois de la salle donnant sur la coursive pour apercevoir et commenter l’anatomie du personnel féminin intervenant à la suite d’ une altercation entre deux détenus… Arrive aussi David, infirmier de l’Unité de soins psychiatriques, qui se joint au groupe en toute discrétion. Recentrer tout le monde passe aujourd’hui par le fait d’attirer leur regard, en restant debout face à eux pour des postures très dynamiques et tenues dans la durée. Progressivement nous allons porter le regard au-delà du corps et du mur que l’on peut traverser ainsi par l’imaginaire. Un homme reste assis à l’écart… il vient d’apprendre sa condamnation à une longue peine.

 

Bancs de nuages et quelques trouées de bleu pour éclairer le Vercors.

 

 

 

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Garée face au mirador, blancheur grise de la cour à l’arrivée. Pour la première fois je remarque le maillage anti-hélicoptère… lui aussi limite le ciel.

 


J’interviens en principe une seule fois par mois, ce qui complique la notion de continuité, mais tous les 15 jours pendant un temps d’absence d’André. C’est bien sûr plus contraignant dans mon emploi du temps mais presque plus facile aussi pour la sensation de retrouver le groupe dont les participants changent moins qu’en un mois. Venant de Voiron, cette séance d’1h30 à Varces prend en réalité une matinée complète car s’y ajoutent les temps de trajet, de passage des sas, de rassemblement du groupe pour démarrer, les temps d’échange avec les uns et les autres, et les éventuels retards de sortie liés aux alarmes.
Une petite pointe d’appréhension ce jour, sachant à l’avance qu’Yves ne sera pas là, je serai donc seule avec eux… c’est déjà arrivé mais pas durant la séance complète. Et puis il y a un sourire bienveillant du portier ce matin, du surveillant d’étage que je commence à connaître aussi. Il faut si peu : quelques marques d’humanité dans cet endroit qui en manque cruellement représentent tant aussi pour être ré-assurée. 8 hommes pour une belle pratique, certains sont si jeunes… que font-ils ici ? La vie n’est pas là pour eux…


Détendu / apaisé / étiré sont leurs mots de ce jour, à emporter au dehors. Noah, assidu aux séances depuis des mois, me demande si je peux lui laisser le feuillet sur lequel je dessine, avant de venir, ce que je prévois de faire : même si la séance réalisée ne ressemble que de loin à ce qui était prévu devant la nécessité d'improviser à chaque instant pour s’adapter au groupe et à son énergie du jour, cela lui permettra d’avoir une base cohérente pour pratiquer un peu en cellule s’il le souhaite.

 


Ciel bleu, froid et neige en repartant, promesse des montagnes d’hiver.

 

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Tout début février, légère à l’idée de mon départ dans 3 jours pour un séjour à l'Institut de Yoga Iyengar de Pune en Inde, je grimpe allègrement les escaliers jusqu’au 4° en apercevant le nettoyage des "toits" sur lesquels les détenus jettent tout un tas de déchets par les claustra, ces ouvertures qui tiennent lieu de fenêtres, comme un rejet de leur peine, de l'institution... 10 personnes ont atteint la salle, dont 2 qui discutent au fond : ils ne se sont pas vus depuis 6 mois, et c’est aussi cela le cours : pouvoir se parler, échanger. Yves est là, toujours à l’écoute des uns et des autres, qu’ils soient détenus, surveillants, intervenants.
 Apaisé pour Christian / si léger nous dit Karim dans un grand sourire : j’emporte aujourd'hui cette légèreté et cet apaisement ressentis après une respiration plus subtile, mais aussi la joie presqu’enfantine sur les visages quand nous avons fait des roulades pour enchaîner certaines postures. La dynamique a brisé quelques raideurs physiques et laisser s’exprimer des rires, au moins pour quelques minutes.

 

     

 

Et aussi ce bel échange avec Jean-Pierre, cet homme rencontré devant le bureau du SPIP. Yves me présente comme professeur de yoga et lui demande s’il connaît cette pratique. Il nous dit être boxeur, guitariste et un peu poète : "La boxe ? C’est la recherche du geste parfait… j’ai commencé pour me défendre et me battre. Elle m’a appris mon corps, à le respecter et celui des autres aussi, donc finalement à ne pas me battre, en gérant les émotions, la colère. Ce qui manque le plus ici ? Les femmes, pour l’amour ou plutôt la tendresse, et le sport, pouvoir bouger et prendre soin de son corps. On peut avoir une vie en mangeant, buvant mais pas sans amour ni bouger son corps. La prison use : il faut se battre pour aller à l’école (il prépare son bac). Ici c’est comme une étable : on nous nourrit, on reste propre, et c’est tout."

 


Brouillard en arrivant, soleil et douceur en repartant.

 

Avant mon départ pour d'autres horizons, Yves a cette attention de nous saluer, André et moi, "pour tous les précieux enseignements que vous apportez à notre public, malgré toutes les contraintes et les difficultés inhérentes à la détention : votre action fait l'effet d'un puits de lumière dans un séjour obscur." Il me semble qu’il s’agit de quelques gouttes d’eau seulement… mais sûrement nécessaires, comme celles d'autres intervenants extérieurs, pour éviter la sécheresse totale.

Ce temps à la source en Inde fera mûrir les interrogations, et avec un peu chance apportera des clarifications, sur mes interventions à la Maison d’Arrêt : pourquoi y vais-je ? Quelle valeur peut bien avoir ce que je propose dans ces lieux étranges, presque impossibles que sont les prisons ? Comment rester cohérent dans cette pratique avec un groupe si changeant, sans vraiment envisager une progression comme j’en ai l’habitude au fil des mois ? Comment construire les séances, pour des corps souvent difficiles, en l’absence des supports que nous utilisons fréquemment dans le yoga Iyengar ? Quelques-uns arrivent-ils à s’approprier des exercices qui leur font du bien physiquement, mentalement ? Je sais que Geeta Iyengar, la fille du maître BKS Iyengar, souhaite que les professeurs aillent désormais plus auprès des personnes en difficulté mais je commence à mesurer les difficultés pour rester en cohérence avec ce qui m’est enseigné dans le monde libre.

 


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Retour à Varces après plus d’un mois de pause qui a permis un retour à la source au RIMYI en Inde et à l’essentiel dans l’enseignement. Un peu plus de recul aussi qui me laisse penser, comme le disait Yves, qu’il faut garder conscience que cette heure et demie hebdomadaire peut représenter un vrai espace pour certains, et peut-être semer quelques graines… par rapport au yoga ? À la prise en compte de notre corps ? Au lien corps-mental ?

Il est vrai que Noah tient toujours à garder la fiche de séance en dessins, que certains aussi m’ont dit utiliser un peu ce que nous faisons ensemble, finalement un peu comme les élèves du "dehors" : s'approprier une pratique, cela passe d'abord par les quelques étirements dont ils ont senti qu'ils étaient intéressants pour leur mal au dos, leur raideur dans le corps… le "reste" (respiration, intériorisation) vient quand on est prêt et que les circonstances deviennent favorables... chacun son rythme et son chemin !
J’ai envie d’introduire des choses à la fois très simples et essentielles : de l’ancrage dans le sol, sentir que nos actions sur le corps (mais pas que… bien sûr) ont des effets que l’on peut  vérifier par le regard extérieur mais aussi ressentir par un regard  intérieur, découvrir qu’il y a des possibilités de créer et vivre de l’espace dans les articulations, dans les poumons, entre ceux-ci dans la région du coeur, dans la gorge ou le crâne…. et porter son attention vers cela, poser son regard loin et haut pour retrouver une fierté ou plutôt une dignité qui invite peut-être à traverser ces murs gris…

 


Grand beau temps, presque printanier sous un soleil plein de douceur, même si le peu de végétation semble encore en sommeil. En fait il y a beaucoup d’ombre ici… dehors, dedans… Quelques langues de neige pour éclairer les versants du Vercors.

 

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Des changements d’organisation dans la prison ont conduit à un horaire plus matinal… moins facile pour la circulation mais cela devrait me laisser plus de temps pour la suite de la journée. Avec 8 personnes aujourd’hui, c’est une séance très joyeuse ! Où il faut aussi montrer que je peux faire śīrṣasana, l’équilibre sur la tête, à ces jeunes hommes qui ont besoin de mouvement,  de dynamique et font tout à coup des roulades type hip-hop. Leur montrer que le yoga, ce n’est pas juste des étirements, mais une recherche d'équilibre entre verticalité et horizontalité, entre souplesse et puissance, entre effort et non-effort pour aller vers la stabilité du corps, de la respiration et du mental : étonnés, ils ne veulent pas être en reste : "allez les gars, on montre aussi ce qu’on sait faire" Et voilà tout le monde en posture sur la tête pour quelques instants, ils m’épatent ces hommes !

 


C’est aussi la première fois où j’utilise l’estrade, comme Yves l’a suggéré et, quand ils sont assez nombreux, je trouve ça franchement bien pour les voir tous, capter leur regard si besoin et qu’ils me voient aussi sans tordre le cou. Je pensais repartir plus tôt grâce au nouvel horaire, mais alarme d’étage et portes bloquées…

 


Les yeux rivés sur le ciel, faire le vide… "Yoga citta vrtti nirodhah" disent les Yoga sutra de Patanjali  habituellement traduit par "le Yoga est la cessation des fluctuations du mental."

 

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Grand beau et bonne odeur chaude de la scierie en arrivant, garée face à toutes ces planches … près d’une heure de route, l’horaire n’est pas idéal pour traverser l’agglomération grenobloise en venant de Voiron. Quelques minutes pour me poser, le temps de sortir la carte d’identité nécessaire pour entrer dans l’établissement, de ranger le téléphone portable qui lui ne peut y pénétrer.
Il paraît encore plus  difficile de réunir le groupe depuis le changement d’horaire imposant aux détenus de choisir entre yoga et promenade, école ou autre… 4 hommes, Yves et également Maxime, le kiné animant le module "santé-dos" ainsi que Lisa, une interne en psychiatrie, sont présents ce jour. Difficile d’avoir une dynamique de groupe dans ces conditions, d’autant qu’il y a presque un déséquilibre entre nombre de détenus et nombre de visiteurs dans la séance. Je trouve les uns comme les autres assez avachis ce matin, j’engage alors une séance de postures amenant suffisamment d’énergie pour des salutations au soleil puis des postures assises en torsion, plaisantant à demi : "ouvrez les aisselles ! C’est le meilleur antidépresseur." Nous sommes sur nos tapis pour l’expérimenter encore et encore. L’attitude du corps, la qualité de la respiration et l’état mental sont bien sûr intimement reliés et l’effet des postures ne se limite pas à un peu plus de souplesse, d’équilibre ou de puissance, même si cela est important en particulier pour donner le goût de la pratique.
Nous parlons souvent en yoga des 3 qualités d’énergie constituant tout ce qui existe : tamas, la lourdeur ou l’inertie (mais qui donne aussi la stabilité), rajas, l’activité (mais qui peut aller vers l’agitation) et sattva, l’équilibre, la qualité lumineuse. Les séances que nous proposons ont longtemps été intitulées "relaxation", le personnel ayant bien sûr envie d’avoir affaire à des personnes ne manifestant pas une énergie trop débordante… dans un environnement qui n’est que contrainte. Je crois beaucoup plus en une recherche d’équilibre de nos énergies et à la nécessité d’aller chercher, si nécessaire, le côté rajas pour sortir de la torpeur et nous guider vers sattva, la lumière.


Je ne sais s’il s’agit de l’effet de cette pratique, mais les quelques mots des uns et des autres en fin de séance seront :  libéré / apaisé / soleil et oxygène / posé, et le temps d’échange fera dire à Christian : "ici je dois gérer la colère, donc c’est déjà difficile de faire la démarche d’aller vers une activité, vers les autres… et pourtant c’est nécessaire. Comment comprendre la peine… si elle sert juste à nous renfermer sur nous-mêmes ? On ne voit pas où est la reconstruction."

 


Sortie printanière après l’alarme du jour …

 

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Grand beau sur le Vercors, les arbres maintenant en feuilles jusqu’au pied de la falaise…
Grand beau sur les piles de planches dorées par le soleil matinal dans la scierie derrière moi…
Grand beau sur les barbelés de la Maison d’Arrêt Grenoble-Varces… dit la pancarte devant moi !

 


Avec ce soleil prometteur de douceur et chaleur, y aura-il quelques volontaires pour une séance de yoga ? A leur place, je choisirais la promenade bien sûr ! 2 hommes pour partager une très belle pratique tout en profondeur, qui nous a même menés à nouveau jusqu’à śīrṣasana en utilisant l’appui du mur. De la joie dans les étirements vers l’arrière, et une bonne relaxation en soutenant le haut du dos grâce aux blocs en mousse qui permettent d’autres prises de conscience dans le corps, une ouverture dans la poitrine, de l’espace dans le cœur et une envie de se tenir redressé en assise ensuite. Car oui, ça y est, Yves et André ont fait rentrer le matériel acheté grâce à une subvention de l’UEYI et chacun a enfin un tapis correct… j’y vois une marque de respect pour leur corps soumis à tant de contraintes, de respect pour eux tout simplement.
Je rencontre Jacques et Jean-Claude, les 2 enseignants de yoga intervenant ensemble au SMPR pour un échange chaleureux à la sortie : besoin de parler de ce que nous vivons dans les murs.

 


Retour sur place l’après-midi pour participer au module santé-dos que Maxime, le kiné, anime avec 8 personnes. Pour ces hommes qui ont si peu de possibilité de mouvements, qui passent souvent beaucoup de temps allongés, l’affaissement vient vite sans compter les problèmes liés à leur vie avant d’être ici et parfois une pratique très dure de la musculation pour ceux qui se défoulent  "en poussant de la fonte" pendant ce temps d’incarcération. Le talent de Maxime et le nombre de participants permettent une belle énergie : des choses simples et essentielles pour dire son dos, se dire dans cette fragilité ou cette envie d’aller mieux, comment prévenir d’éventuels problèmes et mieux équilibrer les exercices de musculation. La séance suivante est axée sur des exercices simples issus du yoga, qu’ils peuvent mettre en place en cellule également grâce au document où ils sont à la fois dessinés et expliqués.

 

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Déjà juin et presque l’été, en tout cas pour la chaleur lourde et orageuse qui va m’inviter à changer complètement le programme prévu. 5 personnes et David pour un groupe très posé ce matin. Après quelques postures debout pour réveiller le corps et faire l’état des lieux : quelle qualité d’énergie ce matin ? Y a-t-il des raideurs voire des douleurs ? Nous partons pour une séance douce, dans la fluidité pour accorder mouvement et respiration. Pour quelques postures, je propose un travail à 2 qui nécessite d’accepter le regard de l’autre sans qu’il soit un jugement ni une critique : les jambes sont-elles verticales en ardha uttanasana avec les mains au mur ? comment donner les bonnes directions en pliant les genoux pour mieux étirer le dos ? Il s'agit juste d'aider l'autre par le regard et à peine le toucher afin de le guider dans son ajustement jusqu’à ce qu’il ressente l’étirement pour avoir le plein bénéfice de l’exercice.

 


 

Chacun revient sur son tapis pour la suite de la séance en position allongée. Une rumeur comme toujours dans le couloir, mais aussi les chants des oiseaux aujourd'hui, comme un souvenir de la nature derrière les murs… faire abstraction des bruits de coursive pour écouter sa respiration au-dedans comme on écoute ces chants au-dehors. Pierre est resté crispé sur son tapis : des séquelles d'accident et une douleur au genou le limite, peut-être autant qu’une autorisation de sortie refusée pour voir son fils. J’essaye d’adapter en lui proposant une posture en détente. Après le temps de relaxation, un long silence s’installe spontanément pour tous, bénéfique pour chacun sur le terroitoire de son tapis, mais un silence partagé et respecté par ce groupe.

 

Gérard, asthmatique, sent qu’il "respire plus librement maintenant, dans des poumons grands ouverts."
Slimane confie « vous êtes les seules personnes, avec le psychologue, qui ne nous jugent pas ici où on ne fait que subir des critiques, des remontrances… et à l’extérieur aussi ça continue parce qu’on garde cette étiquette-prison.» Peut-être parce qu’il sort demain, à Yves qui lui demande si la peine lui aura apporté quelque chose, Slimane répond "oui, la peine m’a aidé à plus de patience, je ne monte plus dans les tours quand je ne suis pas d’accord, ici ça ne sert à rien, je sens que je deviens plus stable. Parce que j’ai parfois été écouté ici, je sens que le dialogue est possible avec les autres alors que je laissais la colère s’emparer de moi avant d’essayer de parler."

 

 

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Nous échangeons régulièrement avec Yves et André sur notre ressenti après certaines séances, cela permet aussi d’adapter les points sur lesquels mettre l’accent pour la suite. André a ainsi la gentillesse de faire suivre ces quelques mots de Gérard : "A cause de la détention, on a une agressivité intérieure qui augmente. On accepte moins les remarques des autres. Et c’est grave. Car la détention parle de réinsertion. Et à cause de l’isolement on est comme une bête en cage. La prison déshumanise. On a besoin de faire un travail sur soi. Pour lâcher prise en fait. Avec  vous et avec l’aumônier, je redeviens moi-même, je redeviens un homme. Lors de ma sortie de quelques mois après la détention préventive et avant le jugement je me suis promené tout le temps avec mes chiens sur le plateau là-haut ; j’ai pu voir le besoin de champ visuel, la profondeur du paysage me rendait humain."

Comme enseignant de Yoga Iyengar, j’apprends à oublier la notion de progression pour revenir à ce qui est fondamental, à improviser de plus en plus au fil des mois alors que j’ai pour habitude de préparer les séances depuis des années. A puiser dans l’inventivité aussi pour pallier l’absence de couvertures, sangles et autre matériel que nous utilisons si nécessaire, pour permettre certaines postures à des corps plus difficiles, pour débloquer des raideurs, amener des ressentis particuliers ou pour intensifier certains exercices.


Cette séance hebdomadaire semble peut-être une goutte d’eau dans cet univers carcéral où j’entends beaucoup de colère exprimée ou rentrée mais la pratique proposée paraît clairement bénéfique sur place. Il ne s'agit pas d'idéaliser le yoga en prison car, dans l'isolement de la détention toute activité venant de l'extérieur est la bienvenue, mais celui-ci prend toute sa place en impliquant le corps que l’on écoute souvent d'abord dans sa souffrance mais que l'on peut aussi apprendre à explorer dans toute sa richesse de sensations, comme une porte ouverte vers plus de conscience, vers cette humanité profonde au cœur de chacun. Et si cette pratique stabilise et recentre, elle n’a rien d’égocentrique mais permet de trouver un espace intérieur plus ouvert et profond, à partir duquel aller vers les autres. Ceux qui le ressentent me disent souvent que les surveillants aussi devraient faire du yoga !

 

 

Le suivi que j’ai pu avoir depuis un an est encore très limité pour analyser la progression de chacun non pas dans la pratique elle-même, ce qui n'est pas l'important, mais dans l’intérêt qu’ils lui portent ou dans leur attachement à ce travail. J’observe seulement comme certains font en sorte de ne manquer aucun rendez-vous du mercredi matin et comment ils développent une qualité d’attention à ce qui leur est proposé et aux messages de leur corps, ce qui ne va pas de soi dans ce milieu.  


Quelques-uns disent utiliser des exercices en cellule, comme Noah qui s’arrange pour pratiquer tôt le matin avant que son codétenu ne se lève ou tard le soir afin d’avoir un espace suffisant sans perturber l’autre ; en utilisant les fiches régulièrement, il connaît maintenant certaines séances par cœur.  Et puis au hasard des rencontres en dehors de la prison, l’un de nous a par exemple revu Samir, visage détendu et ouvert qui dit continuer, par hygiène, des postures de yoga qu’il a apprises avec nous dans ces séances.


Si le hasard des conversations me fait savoir ce qui les a conduits dans ces murs, je préfère l’ignorer pensant qu’un détenu ne se réduit pas à son acte. Les regarder sans jugement, comme des êtres humains, est important pour eux et pour la société, dans laquelle un jour ils devront se réinsérer. Je ressors simplement de là avec "leur regard" que j'ai la chance de pouvoir poser, avec le mien, sur les murs surmontés de barbelés... sans m'y attarder, et surtout sur les montagnes, le ciel, sur les planches dorées au soleil dans la scierie, sur d'autres humains !

 

 

 

Quelques pistes pour éclairer nos réflexions :

 

Témoignage d'André Weill

 

Article paru dans la revue Esprit Yoga.pdf

 

Video : yoga et méditation à la prison Tihar de New Delhi, Inde

 

Breathe : un souffle de liberté DVD de Stéphane Haskell (un tour du monde du yoga dans ses aspects thérapeutiques et en prison)

  A l'air libre, DVD un documentaire de Nicolas Ferran et Samuel Gautier sur l'expérience de détenus en fin de peine dans une ferme

  Ne me libérez pas, je m'en charge DVD :  entretien avec Michel Vaujour, qui a connu le grand banditisme, la prison pendant 27ans et de nombreuses évasions jusqu'à la libération par une longue démarche personnelle.  

     De la prison à l'éveil, Satyam Nadeen (éd. du Relié)

 Nos têtes sont plus dures que les murs des prisons, Thierry Lévy (éd. Grasset)




 

 

 

 
 

 

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